Rencontre en terrasse

Elle, très décidée dans un body près du corps au décolleté plongeant sur un dos parfait et un short révélant ses jambes légèrement bronzées. Cette tenue simple, d’un blanc immaculé, mets particulièrement en valeur sa sensualité naturelle. Sa jeunesse est éblouissante de beauté et elle le sait.
Lui, félin, tatoué, musclé sans ostentation. Plus âgé, il dégage une assurance qui donne de la matière à sa silhouette filiforme. Il passe régulièrement sa main dans ses cheveux. Geste de séduction ou de nervosité ?
Ils décident de s’attabler en terrasse, loin des oreilles curieuses qui se sont naturellement dressées à l’intonation d’un accent anglo-saxon inhabituel pour l’endroit.
Elle s’installe, jambes sagement repliées sous sa chaise. Il s’assoit à son tour, s’accoude nonchalamment à la table et décale son corps sur le côté pour déployer ses jambes devant lui, mais son visage reste tourné vers sa jolie interlocutrice. Qui pourrait l’en blâmer, elle est hypnotisante.
C’est elle qui démarre la conversion. Son sourire est éblouissant et lui semble l’écouter avec attention. Elle connaît bien l’endroit et s’y sent parfaitement à l’aise. Ses gestes sont amples, elle se montre particulièrement expressive. En face d’elle, il dégage un grand calme, une attitude presque léthargique. Ses mouvements restent lents, posés. Pourtant, sans pouvoir les entendre, on sent que la conversation est fluide et monte en intensité. On peut le lire dans le mouvement de leurs corps qui se répondent, en alternance, dans une danse discrète mais précise. Il prend la parole, un grand monologue, surprenant, il occupe tout à coup tout l’espace et c’est son tour à elle de se retrouver hypnotisée. Elle boit ses paroles, son visage a changé d’angle pour ne rien louper de cette profusion de mots aussi soudaine qu’inespérée. Tout à coup, elle sait, elle a pris sa décision. Il vient, en un rapide échange, de lui confirmer ce qu’elle avait pressentis le matin même en le croisant dans la rue. Elle vient de capter l’éclat interne qui lui manquait pour avoir l’assurance qu’il était celui qu’elle cherchait. ll sera le sujet de son prochain portrait. Son modèle.

Crédits photo: Angelo Foley; inconnu; auréliemojo.

L’instinct de vie

Elle est si mignonne dans sa robe liberty qu’on lui donnerait « le bon dieu sans confession ». Blonde, les yeux clairs, elle correspond en tous points aux clichés de la petite fille modèle et elle le sait. Elle court partout dans les allées du centre commercial. Elle repousse les bornes des limites pour voir jusqu’où sa mère va le supporter. Et lorsque la voix devient plus forte et plus tranchante, elle se retourne vers elle, le sourire aux lèvres, cet éclat de malice dans le regard qui dit « allons, tu peux bien me laisser jouer encore un peu » ? Et la mère, désarmée devant tant de candeur, capitule. Le temps alloué est rallongé. Les compteurs sont remis a zéro. Alors la petite s’élance de plus belle ! Galvanisée par cette approbation tacite qui légitime ses futurs débordements. Elle repart avec un nouveau défi. Celui de clarifier où se situe la nouvelle limite ! Car s’il a été si simple d’obtenir une prolongation de liberté, c’est bien que la véritable ligne à ne pas franchir était ailleurs. Mais où ? La petite lance un regard vers sa mère et sa tête blonde cherche. Elle cherche une nouvelle manière de tester, d’éprouver, de faire son apprentissage. Elle a besoin de sentir que sa mère est là. Qu’elle veille sur elle. Qu’elle peut dire NON ! Mais la mère est épuisée. Cette boule d’énergie qui ne s’arrête jamais a raison de ses forces. Alors elle cède, certainement plus qu’elle ne le voudrait, mais elle n’a pas le choix. Sa santé mentale en dépend. Elle doit lâcher du lest tout en gardant sa vigilance. C’est un numéro de grande équilibriste qu’elle renouvelle chaque jour. Les bons jours, cela l’amuse et cela devient presqu’un jeu de voir ce que sa fille va inventer. Les mauvais jours, elle se crispe en anticipation, respire par à-coups et le jeu se transforme en véritable supplice. La gamine, elle, a le privilège de l’insouciance. Tous les jours renferment ce même trésor de possibilités. Elle a faim d’expériences, de découvertes, d’interdits. Sa mère le comprend, elle doit juste faire taire cette angoisse de louve qui gronde en elle. Cet instinct de protection qui crie ses peurs accumulées lors de sa propre expérience. Elle aimerait pouvoir lui épargner ses erreurs. L’empêcher de tomber, de se blesser, de souffrir. Elle voudrait pouvoir faire un marché avec la vie où elle prendrait toute la douleur sur elle. Mais la vie n’est pas comme ca. Elle est faite de chutes, de bobos, de larmes, de chagrins que l’on console. Ce sont aussi de bons moments, mais en convenir lui arracherait le cœur. Dans ce moment de calme, une voix chaude prend possession de son âme et la rassure: malgré les chutes, malgré les bobos, malgré les larmes, tout ira bien. Elle le sait, mais c’est si difficile de faire confiance à la vie. Comment supporter une telle responsabilité, toutes ces peurs qui l’assaillent ? Il ne lui reste que la foi. Cette voix, presque imperceptible, qui lui insuffle la force et la légèreté nécessaires pour continuer d’avancer. Oui, tout ira bien.