En transit

19h08, décollage de Santa Fe. Il est 02h08 à Londres. 11h08 a Sydney.
Me voila perdue dans une faille spacio-temporelle où la réalité du 23 Septembre 2019 m’apparait toute relative. Je me sens égarée parmi les nuages. Sommes nous le matin? L’après-midi? Le soir?
– « Ça dépend » me répondrait Le Petit Prince
– Ça dépend de quoi?
– De la Terre bien sur!
– Mais la Terre n’a rien à voir avec le temps! Lui répondrais-je,
– Bien sur que si! dirait-il en riant,
– C’est la Terre qui décide si tu dois te lever ou te coucher.
– Mais c’est le soleil qui se lève le matin et se couche le soir. C’est donc lui qui dirige nos vies.
– Pas si tu vis sur Terre. A Santa Fe, le matin débute plus tôt qu’à Dallas alors que le soleil vit sa vie sans se préoccuper de nos questions d’horaires!
– Admettons. Mais alors, puisque nous sommes dans un avion, dans les airs, qui décide?
– Personne. Cette réalité n’existe pas vraiment. La réalité reprendra ses droits lorsque tu redescendras sur Terre. Dans notre situation actuelle: à Dallas.
– Qu’est ce que c’est que cette histoire. J’existe! Je suis la, je te parle sur la surface de mon ordinateur. Je n’ai pas besoin de la Terre pour exister!
– Pas dans l’espace effectivement, mais dans la réalité temporelle, c’est autre chose. Le temps et la Terre sont indissociables.
– Tu veux dire que si je ne me pose jamais plus sur Terre, je peux me passer du temps et, qui sait, vivre indéfiniment?
– Peut-être. Je ne connais personne qui ait tenté l’expérience…

Douce obsession

Quel bonheur de se réveiller naturellement, sans alarme. Laisser son horloge interne reprendre ses droits. Alix savoure le moment et laisse son esprit vagabonder sans bouger, au rythme de sa respiration. Que va-t-elle pouvoir bien faire de ce jour de congé? Elle qui se plaint régulièrement de ne pas avoir de temps pour elle. Voila une occasion de se faire plaisir. Pas besoin de chercher très loin car lorsqu’il s’agit de loisirs, Alix n’a qu’un seul mot à la bouche: dessiner! Du papier, un crayon, et Alix rentre en transe. La dernière fois qu’elle s’est ainsi sentie habitée par une création, c’était il y a trois jours quand elle était tombée en extase devant l’une de ses plantes vertes éclairée par un rayon de soleil matinal. La lumière baignait la pièce de couleurs douces, presque surnaturelles. Elle avait saisit sa palette d’aquarelle pour capturer le moment de quelques traits de pinceaux… Il suffisait d’un détail, d’un mouvement, d’un motif pour que tout a coup son attention passe en mode obsessionnel: saisir l’instant, retranscrire l’émotion comme elle, l’artiste, l’avait perçue. Car c’est bien cela qui fascinait Alix. Partager le monde tel qu’elle le voyait: graphique, poétique, avec un gout prononcé pour les couleurs pastels qui prenaient un malin plaisir a se glisser dans les moments les plus inattendus de sa vie. Le plus excitant c’est la surprise de ne pas savoir qu’elle sera l’obsession du jour. Mais pour le savoir il faut tout de même ouvrir les yeux, et surtout prendre le peine de véritablement regarder autour de soi. Prendre le temps de s’émerveiller de ce que la journée a à offrir. Alix pose un pied pas terre, puis deux, se dirige d’un pas tranquille vers la cuisine ou le soleil illumine déjà toute la pièce. Elle se sert un grand verre d’eau et profite de la vue magnifique qui s’étend devant elle sur les toits de Paris. Hummmm voila le sujet pour aujourd’hui: Paris vu depuis son petit appartement sous les toits. Ce point de vue qui surplombe l’agitation de la ville, qui d’ici pourrait paraitre presque paisible. Alix s’équipe de son matériel, croque dans une pomme et s’installe sur son petit balcon, carnet d’esquisses à la main. Et la journée commence…

Ralentir

Le séjour est terminé après cinq jours le long du Chemin de Compostelle. Depuis ce matin, l’ambiance est différente des autres jours. On sent la fin de la parenthèse. Il est temps de plier bagages, de faire le ménage dans les affaires et d’organiser la logistique du retour. Une navette est prévue pour ramener les marcheurs jusqu’au Puy en Velay, leur point de départ. Une fois montés dans le bus, chacun commence le rembobinage complet de son histoire. Chacun remonte les jours a contre courant et passe en quelques minutes devant des paysages qu’ils ont mis des jours a traverser. Retour en arrière ou bien avance rapide? Difficile à dire, mais le rythme a irrémédiablement changé et cette rupture sonne le glas de l’aventure. Ce nouveau rythme permet de reconnaitre, par bribes, quelques éléments du décor. Par superposition de ces deux expériences, se révèle le véritable secret de la marche en pèlerinage. Elle permet de se connecter au présent avec intensité. De gouter chaque parcelle de ce que la vie nous offre et de prendre le temps de la recevoir dignement. En marchant, le pèlerin n’a plus uniquement le temps de voir mais aussi celui de regarder, de chercher, de scruter. Il a le temps d’être surpris. Le temps de sentir, de ressentir et d’attendre. Les secondes s’étirent et les heures s’allongent. Les douleurs se font plus lourdes, les odeurs plus denses, les rencontres plus passionnantes. Ce rythme permet une qualité d’être inédite dans notre société SpeedFast ou tout doit aller vite et où nous nous devons d’être productif à chaque instant. Pour ne pas perdre le temps. Mais en étant hyperactif, ici et ailleurs, maintenant et dans six mois, avec toi et mon réseau social, ne nous file t-il pas entre les doigts? On croit optimiser le temps mais ce n’est au final qu’une manière de le fuir. Car le temps peut être pesant et angoissant. Il magnifit le présent, quel qu’il soit. Il oblige a tirer le meilleur de l’instant même lorsque l’orage gronde et que la pluie dégouline, désagréable, jusque dans le cou. C’est tout cela qui me passe par la tête en regardant le paysage qui défile par la fenêtre du bus. Le rapide et le lent, les transports et la marche, ont mis en exergue deux mondes qui coexistent en parallèle. Celui de notre société moderne, rapide, stimulante, exaltante. Et celui du retour a la Nature, exigeant, enthousiasmant et puissant. Le premier nous est familier et le deuxième nous est souvent étranger. Pourtant, il se trouve à la portée de tous, attendant que l’on se donne simplement la peine de ralentir.