« Quel que soit son domaine de création, le véritable esprit créatif n’est rien d’autre que ça : une créature humaine née anormalement, inhumainement sensible. Pour lui, un effleurement est un choc, un son est un bruit, une infortune est une tragédie, une joie devient extase, l’ami un amoureux, l’amoureux est un dieu, et l’erreur est la fin de tout. Ajoutez à cet organisme si cruellement délicat l’impérieuse nécessité de créer, créer, et encore créer – au point que sans la possibilité de créer de la musique, de la poésie, des livres, des édifices, ou n’importe quoi d’autre qui ait du sens, il n’a plus de raison d’être. Il doit créer, il doit se vider de sa créativité. Par on ne sait quelle étrange urgence intérieure, inconnue, il n’est pas vraiment vivant à moins qu’il ne soit en train de créer. »
Pearl S. Buck
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été cette personne ultra-sensible qui ressent les choses avec une telle force, qu’elle doit, en permanence, trouver des moyens pour se protéger de la violence qui l’entoure. C’est la raison pour laquelle je ne suis plus l’actualité dans les média, que je regarde de moins en moins de Série TV, et que je reste éloignée des grosses productions cinématographiques. Tous ces endroits où la surenchère d’émotions est de mise, car je n’arrive tout simplement pas à supporter un tel niveau de sollicitations.
Pendant longtemps, j’ai donc considéré cette ultra-sensibilité comme un défaut, surtout qu’autour de moi, on ne prenait pas trop au sérieux mes réactions. J’avais besoin de m’endurcir, de prendre les choses moins à cœur. Comme si c’était un choix, comme si j’avais décidé tout ça. Alors, j’ai appris à cacher ce que je ressentais, à défaut de pouvoir m’empêcher de ressentir tout court. J’ai appris à éviter les situations qui me faisaient trop mal. Mais au fond de moi, je me sentais anormale, handicapée, vulnérable. Et ma sensibilité n’a fait que grandir, à l’intérieur, prisonnière de moi-même.
« Tout le monde est un génie. Mais si vous jugez un poisson à sa capacité à grimper aux arbres, il vivra toute sa vie en croyant qu’il est stupide. »
Albert Einstein
Et puis je me suis remise à écrire. Et puis j’ai eu envie de me reconnecter à ma créativité, et toute ma perception de la sensibilité a changé. Car être écrivain, photographe, peintre, artiste, c’est donner un sens à toutes ces émotions. C’est apprendre à s’apprivoiser soi-même, et donner enfin la parole à ce que l’on ressent. J’ai compris qu’un poisson n’est vraiment vivant que lorsqu’il retrouve l’eau. Et j’ai surtout compris combien il était dommageable de me reprocher de ne pas savoir grimper aux arbres. Nous avons chacun nos caractéristiques. Des environnements dans lesquels nous nous sentons plus ou moins à l’aise. Trouver son monde, c’est se donner les moyens de déployer ses talents, et l’opportunité de s’épanouir pleinement.
Pourtant, tout n’est pas si simple. Car, même si, par le biais de la créativité, un nouveau monde s’est ouvert à moi, c’est un environnement nouveau, dont je ne connais pas les codes, et je ne peux m’empêcher de m’y sentir (aussi) étrangère. J’ai passé tellement d’années à me persuader que je devais savoir grimper aux arbres qu’une fois dans l’eau, je reste sur mes gardes. Que ce soit par le biais de l’écriture de mon roman, de celle de mes textes, de la photographie, je n’ose pas aller trop loin. Je fais quelques brasses, et je ne peux m’empêcher de me retourner en permanence vers la rive, soucieuse de ne pas trop m’éloigner de ce que je connais si bien. Je me sens un peu comme ces enfants loup, élevés par les animaux, et incapables de se ré-insérer dans un monde civilisé. Sauf que pour ma part, c’est un peu l’inverse qu’il se passe. Car ce que je pressens, c’est que la créativité me pousse à retrouver ma nature sauvage. Une nature que l’on a mis tant d’efforts à dompter, par mon éducation, mais aussi par mon propre acharnement à correspondre à un monde qui n’était pas le mien.
À ce stade, il reste compliqué pour moi de me sentir vraiment libre de créer, alors que j’en ressens indiscutablement les bienfaits. Finalement, ce que j’ai découvert, ce n’est peut-être pas un nouveau monde, mais un nouveau chemin. Mon univers, reste à inventer. Avec mes caractéristiques de poisson, et mon expérience dans les arbres. L’histoire d’un poisson qui s’était pris pour un singe, et qui cherche encore dans quel habitat il pourra véritablement s’installer, pour vivre pleinement sa vie.
Et vous, vous sentez-vous libre de créer ? Êtes-vous dans un environnement qui vous y encourage ?