Elle existe quelque part, entre fantasme et réalité. À ce jour, elle se matérialise sous la forme d’une silhouette envoûtante qui se découperait dans l’embrasure d’une porte entrouverte. Je la devine, mais ne peux la voir encore dans son entièreté et c’est peut-être ce qui entretient pour moi le mystère depuis tant d’années. De loin, pourtant, je pense que certains sauraient la reconnaître. Elle dégage une aura particulière, paradoxale, complexe. Son intériorité lui assure une indépendance qui effraie. S’ils savaient. Elle a tellement besoin d’eux pour exister. La différence, c’est qu’elle tient debout sans personne et ça, c’est souvent perçu comme dérangeant. Elle intrigue aussi. Car elle détient un pouvoir magique, unique et envié. Celui de faire parler les mots. De les faire vibrer. Ils sont ses messagers. Elle les apprivoise et ensemble, ils expriment une vérité. Certains la traitent d’intellectuelle, d’autres d’originale. Elle fait tache dans l’univers bien ordonné dans lequel on nous intime de nous ranger. Son monde à elle est peuplé d’une multitude d’idées éclectiques, illogiques, sensibles. C’est un univers chaotique, mais elle s’y sent chez elle. Entourée de ces mots, de ces textes qui lui parlent, parfois la bousculent ou bien la consolent. Elle seule a la patience d’attendre, de comprendre, d’entendre si les mots sont disponibles et comment ils souhaitent participer à la danse de l’instant présent. Car parfois, ils se rebellent, farouches opposants à une exigence de résultat qui ne les concerne pas. Je dois rendre ce texte. Mais pour les mots, le « devoir » n’existe pas. Elle le sait. Elle entame alors une approche, experte, sans brusquerie ni complaisance. Sa sensibilité en bandoulière, elle laisse s’épancher ses émotions pour attendrir les mots récalcitrants. Devant tant de vulnérabilité, ils n’ont d’autre choix que de se laisser attraper. Et ensemble ils œuvrent. Elle est la muse et la résistance. Elle est le canal et la source. Elle est l’écrivaine tapie tout au fond de moi et qui se révèle, un jour à la fois.
Catégorie : Projets créatifs
Une fille c’est pas pareil
Une petite fille est née. C’était à la toute fin de l’été. Elle était très attendue dans cette famille de garçons. Les parents ravis d’avoir enfin une fille. Un échange anodin, les félicitations d’usage. Et puis ce dialogue qui s’impose, comme un disque qui démarre dans ma tête. Un dialogue patchwork de toutes ces petites phrases banales que l’on entend à la naissance d’un enfant. Des phrases qui sont dites sans trop y penser et qui, à la longue, créent une réalité.
– Elle est si calme, en même temps c’est normal : c’est une fille.
Incompréhension. Comme si une fille ne pouvait pas être turbulente. Avoir de l’énergie à revendre. Comme si un garçon ne pouvait pas être serein. Apaisé au fond de son couffin. Je ne peux m’empêcher de faire mon poil à gratter :
– un garçon ça peut être calme aussi…
– Peut-être, mais une fille, c’est pas pareil. Une fille, on a envie de la dorloter, de la câliner et de la protéger. Un garçon, on sait qu’il est fort, qu’il se débrouillera.
Stupéfaction. Moi qui croyais que tous les bébés avaient besoin d’être dorloté, câlinés et protégés. Mais qu’est-ce que j’en sais?
– Un bébé me parait tout de même un peu jeune pour savoir se débrouiller, non?
– Ce que je veux dire, c’est que naturellement on se fait moins de soucis pour un garçon. Une fille, c’est pas pareil. Il faut être présent, être derrière elle, au cas où. Heureusement ses frères seront la pour la protéger et puis un jour elle rencontrera un mari qui pourra prendre le relais.
Agacement qui vire à la colère. Vous saviez que la colère, c’est l’émotion qui sert à poser les limites? Je me sens insultée, agressée par cette dernière remarque. Le relais? Le relais de quoi? On me dresse le portrait d’une femme incomplète, assistée, que je n’ai pas envie de laisser passer. Alors la lutte commence. Intérieure, pour ma plus grande honte. Est-ce le bon moment? Le bon endroit? Est-ce que ça en vaut la peine? Est-ce que ma réaction va changer quelque chose? Et pendant ce temps là, la discussion s’enlise dans une boue dont nous n’arrivons plus à nous extirper.
– Et puis un jour elle deviendra mère à son tour et le cycle recommencera, c’est sans fin.
Sans fin que les filles auront besoin d’être protégées par des hommes débrouillards et forts. Sans eux, elles ne pourraient pas devenir femme ? Sans eux, elles ne pourraient pas devenir mère. Est-ce que l’on ne confond pas un peu les deux ?
Je lui ai offert un lapin bleu. En espérant que cette petite transgression l’autorise à être simplement et pleinement elle-même.
Juste être
Ce jour là, j’avais décidé de ne rien faire. Je me suis levée et laissée guidée vers ma table à dessin. Enfin, techniquement, c’était mon bureau, mais ce matin là c’était devenue ma table à dessin. J’étais animée d’une mission soudaine. Une impression fugitive me venant d’un rêve que j’avais dû faire dans la nuit. Un reste embrumé, encore accroché à moi par je ne sais quel bout de mon pyjama. Alors je ne me suis pas habillée. Histoire de pas le laisser s’échapper. Je me suis installée sur le fauteuil et j’ai sorti carnet, crayons et palette de couleurs. La matière première à la mise au réel de ce fragment de rêve. Et ce sont d’abord les couleurs qui se sont imposées. Puis, rapidement, une image est venue se superposer. Une femme, sublime, parée de bijoux somptueux. Cléopatre, période Elisabeth Taylor. Dans un flash, j’ai reconnu une photo aperçue dans Vogue, un modèle auquel me raccrocher. Débute alors une danse étrange entre le modèle et le papier. Mon corps tout entier est engagé. Une danse hypnotique qui me fait oublier le temps et l’espace. A chaque respiration, la déesse se révèle un peu plus sur le papier aquarelle. Comme l’aurait fait une photo argentique, sortie du négatif de la pellicule. Absorbée par la réalisation de ma création, je plonge et perds pied dans les mélanges de couleurs. A la recherche de celle qui saura retranscrire cette sensation éphémère qui se fait de plus en plus lointaine. Je suis toute entière à ma tache et pourtant, je n’ai pas l’impression de produire quelque chose, mais plutôt de me laisser glisser dans un monde parallèle. Un monde dans lequel ma création finale n’est qu’une partie infime de ce que je vis. Car ce qui m’anime c’est d’être, au présent, comme jamais auparavant. Je m’incarne pour ne plus rien faire d’autre que d’être et cela rempli tout l’espace.