Juste être

Ce jour là, j’avais décidé de ne rien faire. Je me suis levée et laissée guidée vers ma table à dessin. Enfin, techniquement, c’était mon bureau, mais ce matin là c’était devenue ma table à dessin. J’étais animée d’une mission soudaine. Une impression fugitive me venant d’un rêve que j’avais dû faire dans la nuit. Un reste embrumé, encore accroché à moi par je ne sais quel bout de mon pyjama. Alors je ne me suis pas habillée. Histoire de pas le laisser s’échapper. Je me suis installée sur le fauteuil et j’ai sorti carnet, crayons et palette de couleurs. La matière première à la mise au réel de ce fragment de rêve. Et ce sont d’abord les couleurs qui se sont imposées. Puis, rapidement, une image est venue se superposer. Une femme, sublime, parée de bijoux somptueux. Cléopatre, période Elisabeth Taylor. Dans un flash, j’ai reconnu une photo aperçue dans Vogue, un modèle auquel me raccrocher. Débute alors une danse étrange entre le modèle et le papier. Mon corps tout entier est engagé. Une danse hypnotique qui me fait oublier le temps et l’espace. A chaque respiration, la déesse se révèle un peu plus sur le papier aquarelle. Comme l’aurait fait une photo argentique, sortie du négatif de la pellicule. Absorbée par la réalisation de ma création, je plonge et perds pied dans les mélanges de couleurs. A la recherche de celle qui saura retranscrire cette sensation éphémère qui se fait de plus en plus lointaine. Je suis toute entière à ma tache et pourtant, je n’ai pas l’impression de produire quelque chose, mais plutôt de me laisser glisser dans un monde parallèle. Un monde dans lequel ma création finale n’est qu’une partie infime de ce que je vis. Car ce qui m’anime c’est d’être, au présent, comme jamais auparavant. Je m’incarne pour ne plus rien faire d’autre que d’être et cela rempli tout l’espace.

Bleu

Dimanche soir. La soirée est calme et une ambiance particulière a envahi la pièce. Je vis un moment bleu. Une couleur paradoxale. Un mélange de douceur et d’anxiété qui commence à monter. Est-ce la semaine qui se profile ou bien l’écho de celle qui s’achève? Une violence sourde que je décide d’apprivoiser par l’écoute d’une bossa langoureuse. Une musique enveloppante qui me prend dans ses bras pour me réconforter. Car le bleu appelle le soin sinon il fait trop mal. Il faut lui arrondir les angles, anticiper ses coups, sinon il laisse des marques. Le bleu exprime le vague à l’âme, cette profondeur à laquelle on perd pied et où il ne reste plus qu’à prier. La prière redonne espoir, érige demain en sauveur et condamne aujourd’hui dans un rejet plaintif. Je ne veux plus, je n’en peux plus. Mais demain peut-être? Et si demain était bleu? Il serait alors un jour de grand beau temps où rien ne peut ternir ce ciel, sans nuage. Paradoxal. On fait ce que l’on veut du bleu. On l’arrange à sa sauce. La sauce au bleu. Quand j’étais petite c’était ma manière à moi de faire passer tout ce que je n’arrivais pas à avaler: les légumes trop cuits, la viande trop saignante. Le bleu recouvrait tout. Il faisait diversion et me sauvait de mes tourments. La particularité du bleu je crois, c’est cette double polarité. Cinglant: il refroidit les ardeurs d’un inconscient un peu trop zélé pour lui signifier les limites de son humanité. Sensible: il encourage un timide à chérir la beauté de son intériorité. Car le bleu vibre à la moindre variation atmosphérique. Il se module en fonction de l’air. Mais les conditions qu’il préfère sont ces moments d’intimité, où il peut converser en tête à tête. Car le bleu est une couleur de l’ombre. Une couleur de dimanche soir.